HORIZON 1 KM
HORIZON 1 KM
2020, année pandémique
Couvre-feu, confinement, documents dérogatoires, obligations, distanciation sociale… règlent désormais notre vie. Tout déplacement doit être justifié dans des limites imposées. Pendant plus d’un mois, interdiction est faite de franchir une ligne formant un cercle d’un kilomètre de rayon autour du domicile légal sans justificatif dûment circonstancié et signé par le (la) porteur(se). Sous peine de prison si récidive.
Cette limite imposée, cette frontière virtuelle nous oblige à un autre regard, une autre attitude, à changer nos rapports au milieu dans lequel nous nous agitions librement. Il nous faut jouer avec ces contraintes, les utiliser pour en faire un matériau d’exploration, de découverte de la proximité. Expérimenter l’écart.
Le projet HORIZON 1 KM est un commentaire, une réponse qui se joue de règles administratives contraignantes.
Demande a été faite à qui voulait de se positionner physiquement sur la ligne de frontière du 1 KM, le plus exactement possible et ceci aux quatre points cardinaux. Là, il fallait prendre deux photos dans l’axe du rayon : l’une vers le centre autorisé, l’autre vers l’extérieur interdit.
Les photos comme les commentaires qui les accompagnent sont des témoignages particuliers, chaque fois différents, qui suivent le même protocole.
C’est un jeu et, comme dans tout jeux, chacun y apporte sa singularité.
Denis Malbos, décembre 2020
« (…) l’ensemble des rapports à l’espace que l’on rencontre dans les sociétés humaines : le contact et l’écart (…). L’obligation angoissante de se définir librement de nouvelles identités nous engage dans des jeux de contact et d’écart inédits dont nous devons, sous de multiples contraintes, fixer les règles. » Jacques Lévy : Le tournant géographique
Quelques commentaires…
EMMANUEL BLANC
45°48’43.04“N - 4°51’04.32’’E
« Au Nord, si je veux être précis, je crois que je vais me retrouver dans le jardin d’un pavillon. Il faut espérer qu’il n’y ait pas un gros chien et un propriétaire agressif… ou pire, un coronavirus qui me saute dessus… et des flics à mes trousses, des ambulances en vadrouille pour exterminer les coronas.
Je crois que je déraille un peu, mais à l’Est, je vais me retrouver sur une voie de chemin de fer. Ah non, je me trompe, il n’y a plus de rail depuis belle lurette, c’est la voie verte, ne pas confondre les trains et les vélos. Est vers est : Caluire, terre de maraîchage rongée par les îlots pavillonnaires.
Au Sud je vais tangenter le cimetière, un pied dedans (dans la tombe bien sûr) et un pied dehors. Ça tombe bien on est le 1er novembre.
À l’Ouest, rien de nouveau. Ça me fait penser que tout ça c’est du cinéma. Un film pacifiste américain de 1930. Mais à l’Ouest, mardi soir, ça craint de déraper façon guerre civile avec les bataillons Trumpistes. C’est fou ce qu’on peut délirer sur une carte qui tourne en rond et nous fait tourner en bourrique… »
VINCENT COSTARELLA
45°27’13.5’’ - 5°30’27.6’’E
« Il fait froid, pas beaucoup de temps, donc le périple se fera en voiture au lieu d’une jolie balade en forme de boucle, à pied. Les deux premières images se font tout près du cimetière, j’ai failli tricher, mais finalement j’ai respecté la règle et j’ai poussé jusqu’au cercle du un kilomètre. Heureusement la lumière est belle aujourd’hui. Les deux suivantes me mènent sur une colline avec un beau panorama, hélas la lumière ne suit pas… Puis je descends vers le Sud, un joli paysage m’attend, mais de l’autre côté je suis forcé de photographier une maison. Elle est laide et prétentieuse, souvent inhabitée sauf pendant les vacances et les week-end, c’est vraiment la dernière maison que j’aurais voulu photographier. Pour finir, et par chance, le cercle me mène au bord du lac. Deux pêcheurs sur une barque pêchent ou font semblant de pêcher. Ont-ils une attestation dérogatoire ? Je ne sais pas. Ils se demandent certainement ce que je fais là, moi aussi… »
BÉATRICE DARNAL
45°8’36,606’’n - 4° 59’0.402’’E
« Un kilomètre ce n’est pas mille mètres.
Tout avait été régulier (avec une bonne dose de tolérance et si l’on tient compte de l’impossible). Restait le trajet vers le couchant. Le parfait un kilomètre à vol d’oiseau aboutissait de l’autre côté de la vallée, ce panorama contemplé matin et soir depuis vingt ans. Pilepoil sur l’emplacement d’une ferme que j’aurais pu rejoindre en mille mètres si j’avais été un des guêpiers de l’été. Pour m’y rendre ainsi que la règle l’imposait, il m’eut fallu dégringoler la colline en friche, traverser une propriété privée, un chemin et ses fossés, des champs de cardons protégés par des barbelés, un ruisseau caché dans les ronces, une route, des bois, enfin escalader l’autre colline. Ça aurait été bien, infranchissable, mais bien. De cinq mètres, j’ai regardé à 995 mètres la maison et son hangar. — là où un paysan s’est pendu il y a vingt ans —, restés longtemps à l’abandon, et j’ai photographié. »
MARIE BOUAZIZ
45°76’36.52“N - 4°86’81.69’’E
« Oh la la, je n’ai que des immeubles et du béton à un kilomètre autour de moi. C’est triste… Je ne vois pas d’arbres ! »
ZETTE DUVERGER
45°11’09’’N - 5°43’02’63’’E
« Voilà le résultat de mes balades… Ça m’a bien amusée d’atterrir dans des drôles d’endroits ! Sur la passerelle, au sud, j’ai attendu un train pendant une heure et quand il est passé, j’ai raté la photo… »
ISABELLE DROUET
42°32’04“N - 8°59’53’’E
« Pour situer les lieux, tout autour de moi c’est la montagne corse : donc maquis et déplacement sur les sentiers : cela nécessite parfois beaucoup de temps. Aucune habitation en vue. Ces photos donnent un aperçu du Ghjunsani où se trouve le village de Pioggiola.
Cardinal nord : tout près de l’un de mes endroits préférés : vue sur la montagne d’un côté, sur la mer de l’autre près de la Bocca di a Battaglia (le col). J’ai voulu me rapprocher du point convenu, donc pas de vue mer. NS : en face, le Monte Padru, 2390 m. NN : je ne suis pas encore à la crête, donc vue sur le maquis et restes de murs qui courent dans la montagne.
Cardinal est : sur le sentier qui descend au village d’Olmi Cappella : forêt de chênes et châtaigniers, maquis et rochers. EE: maquis et murs. EO : la pointe c’est le San Parteu, derrière les chênes.
Cardinal sud : le point est à la sortie du hameau de Purcili, sur le sentier qui remonte vers le San Parteu. SN : maquis et murets. SS : une bergerie abandonnée et, au fond, la crête cachant la vallée de la Tartagine (celle-ci se trouve derrière la crête et au pied du Monte Padru).
Cardinal ouest : près du sentier qui monte au San Parteu. J’ai dû m’enfoncer dans le maquis (ronces incluses) pour m’approcher du point convenu. OE : le maquis, encore et toujours. OO: le Monte Tolu, sur la crête qui relie la Bocca di a Battaglia au San Parteu. »
LUC ET VÉRONIQUE JEANNEROT
43°33’20.72“N - 5°24’25.654’E
« Même si, très souvent, nous nous baladons à pied autour de notre maison, souvent à plus d’un kilomètre heureusement, le challenge proposé nous a fait découvrir des endroits que nous ne connaissions pas, bien que si proches. Une des premières difficultés fut de savoir où était le centre de notre cercle. Notre adresse le donne à quelque 300 m, là où sont les boîtes aux lettres.
Est et nord furent faciles à atteindre, presque alignés sur la Nationale 7. À l’est, il aurait fallu que je sois au beau milieu de la route, j’ai préféré me mettre en retrait pour prendre les deux photos. À droite de la pharmacie, on devine la petite église en bois de Célony, ce quartier d’Aix-en-Provence où nous habitons. Au nord, nous sommes encore très proches de cette nationale 7, à peine une trentaine de mètres.
Pour les deux autres points cardinaux, cela a été une autre paire de manches.
Le seul moyen pour atteindre le point sud fut de prendre la voiture et de faire cinq kilomètres. Ayant pris les deux photos, nous avons marché dans ces chemins que nous ne connaissions pas et nous sommes retrouvés à l’arrière d’un centre d’accueil pour jeunes en difficulté.
Il nous restait le point ouest. Nous avions déjà fait une tentative en descendant un chemin et puis un autre qui nous menaient à mille deux cents puis huit cent cinquante mètres du centre. Entre ces deux chemins, nous avons pu accéder à la ligne de chemin de fer Marseille Aix Gap Briançon, à son aplomb à l’entrée d’un tunnel. N’étant pas Lara Croft, je ne pus sauter dix mètres en contrebas et remonter de l’autre côté pour me retrouver dans une propriété privée et viser le point kilométrique.
ETC…
Petite histoire
L’idée d’HORIZON 1 KM naît au printemps 2020 quand la limite est à cent kilomètres. Trop tard, trop loin, vivement le prochain confinement ! Il arrive, on démarre sur les chapeaux de roue : à Denis l’artistique, à Stéphane la gestion et à Zette la mise en page.
Les règles sont facilement définies : se mettre au plus près de l’intersection de son cercle et du rayon cardinal sans se mettre en danger ; tolérance de 1 % ; viser l’objectif au plus juste ; télé ou grand angle, couleurs ou noir et blanc, c’est comme on veut ; envoyer carte, photos identifiées et commentaires à Stéphane qui monte et publie.
On active les réseaux, on crée une page Facebook et on attend. La réponse des réseaux est inégale : rien du côté francs-macs, peu du côté artistes-amis-familles, succès chez les anciens du collège Sainte-Marie de Saint-Chamond (Bac + 51). Sociologues, à vos études !
On rassemble et organise, on réclame photo préférée, commentaires et haute définition, on post et on chat sur Facebook. Quatre semaines et trois cents courriels plus tard, le rayon du confinement s’élargit et HORIZON 1 KM prend fin.
Reste à concrétiser dans un bel objet l’éphémère réalité.
HORIZON 1 KM, et après ? Certains explorent déjà la limite des vingt kilomètres, mais ce n’est plus le même jeu, le proche est trop lointain. Alors attendre le troisième confinement à un kilomètre ? Certainement pas avec impatience !
Stéphane Malbos
Raconte des histoires!…